Est-il utile de se pencher encore sur l’historique (multisupport) de la rubriqueChants de femmes ?
Ceux qui suivent s’en souviennent.
On n’a évidemment plus en tête les quatre cents premiers numéros parus sur facebook, par contre, les trois épisodes publiés sur staycurious sont ici, ici et ici.
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Avouons-le, le dernier article, quoique détenteur de mélodies sublimes, s’attardait avec trop d’insistance sur la neurasthénie automnale…
Continuer en ce sens n’aurait eu pour seul effet que de plomber l’ambiance en clouantdes feuilles mortessur un terrain boueux… Pitoyable simulacre de crucifixion spleenétique.
Sans donc se voiler la face, car oui, les temps sont tristes, on peut s’offrir le luxe de voyager autre part que dans l’hypocondrie saisonnière… D’ailleurs, les foires et les marchés de Noël arrivent à grands pas, ils sont faits pour ça.
En attendant la polychromie scintillante des guirlandes, l'euphorie du vin chaud et les séances de pêche aux canards, on va tenter de vous emmener plus loin, bien plus loin qu’au « tir à pipes »,bien que celui-ci ait un charme fou.
On va tenter de vous emmener… En croisière d’abord, dans une bulle electro-médiévale ensuite.
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Bois flotté.
ML Buch « Suntub » 15 love 2023.
Suntub est étrange comme une croisière en mer.
À l’image de ces odyssées qui touchentau fantasmatique dès qu’on pose lesdocksides sur ungaillard d’avanten écoutant claquer les haubans… Et quideviennenttrès vite pénibles par gros grain autant que monotonespar mer calme.
Cependant, de part l’exigence que l’exercice nécessite et l’introspection qu’il entraîne, l’acquismental est fascinant. De l’appareillage à l’accostage, il n’y a pas que des milles nautiques parcourus, il y a un voyage intérieur qui laisse des traces, bien plus vivaces que le bronzage et les croûtes de sel déposéssur la peau par le soleil et les embruns.
Suntub est un album multi-niveaux également, on peut l’appréhender par le biais de la quiétudefaussement sereine de son pont de teck blanchi par le soleil ou l’envisager plus en profondeur, en tentant, par une bascule arrière, de passer de l’autre côté du bastingage, en se laissant emporter, sous la surface, par la puissance froide d’un courant inconnu, l’esprit en proie à l’excitation d’une plongée dérivante.
L’artiste danoise ML Buch voulait un album dépouillé et viscéral, faussement rudimentaire, empli de pauses et de sinuosités inattendues, à l’instar de ces bois flottés qu’on trouve sur le rivage, choses insignifiantes qui vous racontent pourtant de longues histoires dès qu’on leur accorde un peu d’attention. Les morceaux de Suntub sont bâtis à leur image, irréguliers et aléatoires, ils révèlent au fil des écoutes leurs énigmes, leurs tortuosités.
Comme souvent, c’est la pochette qui nous a mis la puce à l’oreille… La mise au point focalisée sur une tête de Stratocaster à sept cordes laissait présager d’une utilisation intensive de l’instrument…
Et c’est un fait, les guitares s’offrent à elles seules une bonne part de cake, leurs sons étranges, revus et bricolés dans des endroits saugrenus, surfent entre arpèges lumineux à la Vini Reilly, riffs grunge, fuzz shoegaze et indie-folk champêtre.
Les instruments se lâchent paisiblement, il n’est nullement question de virtuosité ici, mais bien d’apporter, par petites doses,une certaine forme d’apaisementpropice aux ouvertures sensorielles.
Apaisement renforcé à l’occasion par le chant d’ML Buch, une voix intense et très personnelle enregistrée à l’arrache et réamplifiée via la chaîne stéréo de sa voiture.
C’est un fait, le disque paraît abrupt tant il déroute par son absence de schéma mélodique et sa (fausse) simplicité, pourtant, il suffit d’oseren tenir fermement la barre et franchir le cap de la bizarrerie pour y découvrir tout un univers de sensations profondes…Toutes irradiées de compositions ensoleillées, de ce même soleil qui, en séchant les bouts de bois flottés, leur donne une âme si particulière.
Un album qui ressemble à une matinée solitaire radieuse, assis dans le sable, à contempler l’infinitude de l’océan.
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Omelette norvégienne.
Glasser « Crux » One Little Independant Records 2023.
Dix ans qu’on était sans nouvelles de Cameron Mesirow(aka Glasser), la voici de retour avec unCruxsous le bras en guise de troisième opus.
Cameron ayant un rapport assez particulier avec le temps, on était en droit de s’attendre à une certaine forme de continuité créative, cependant, tout en respectant une ligne de conduite synth-pop expérimentale, Glasser étonne agréablement en mêlant à ses sonorités cristallines et coupantes des ornements soniques qui risquent de beaucoup plaire à l’inconscient collectif d’un vieux continent en quête de repères patrimoniaux.
Crux , c’est avant tout une confrontation à l’incertitude, un album en forme d’acceptation, celle du décès d’un proche en l’occurrence.
Peut-être CameronMesirow a-t’elle pris conscience de ses racines écossaises en tentant d’asphyxier le drame à coups de processus régressifs ? Peut-être que son initiation récente aux secrets des chants bulgares y est pour quelque chose ?…
En tout cas, à la froideur clinique des sons synthétiques sont venues se superposer de bien jolies choses exhumées des survivances d’une Europe moyenâgeuse.
Gigues, cantates, folk celtique et autres inflexions vocales balkaniques viennent napper d’une chaleur torride les quinze jolis petits icebergs qui parsèment le disque.
En associant avec harmonie le lyrisme ténébreuxd’un passé celtique à des sonorités aveuglantes de perfection, en y apportant aussi et surtout une voix superbe qui, à l’occasion ose la démultiplication,Glasser a réussi à marier l’ethnique au mondialisme, le profane au matérialisme, l’obscur à la lumière, le terreau au ciel bleu…
Addendumréservé à ceux qui s’alimentent de clichés, de raccourcis... auxadeptes du référenciel à l’emporte-pièce en somme.
Imaginez-vous la Brocéliande d’Enya, l’Islande de Björk et la Transylvanie du Mystère des voix Bulgares mettant en commun, au terme d’un accord tripartite, leurs sensibilités culturelles…Et vous entreverrez, très sommairement, l’atmosphère générale de Crux.