Par les temps qui courent, il importe de rester curieux.
Chroniques covidiennes (9).
7 Février 2021
Cela a pris douze mois,
douze mois d’appréhension, d’incertitude.
Douze mois pour que se lézarde notre perception des choses.
Bien qu’on nous l’ait fait croire à grands renforts de pubs et de croyances diverses...
Nous ne sommes pas immortels.
Rien n’est permanent.
Pour d’aucuns, cette perspective est à ce point inconcevable qu’ils ont besoin de coupables.
Alors, à la vitesse d’une tête d’autruche carottant le sol de la savane, ils s’indignent…
Ça ne sert pas à grand-chose, mais ça soulage.
Si bien qu’en cette fin d’hiver, les temps sont devenus ovoïdes…
Un jaune bien gras de convictions simplistes,infondées, mais rassurantes.
Un blanc gluant de haine, constellé de fautes d’orthographe.
Une chambre à air qui sent la mort, celle d’une certaine vision de l’humanité.
Et une coquille épaisse, à l’image de l’angoisse ambiante.
Une porte s’est ouverte pour les désœuvrés du cortex préfrontal.
Ils peuvent maintenant jouer à faire semblant de penser.
Que voulez-vous ? … A chaque crise, c’est pareil.
Quand les stabilités chancellent, on idolâtre les oligophrènes.
Dès lors le doute et le bon sens s’exposent à la lapidation numérique.
Et nous, pendant ce temps, pour s’évader de tout ça,
on écoute de la musique.
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The Besnard Lakes
« The Besnard Lakes Are the Last of the Great Thunderstorm Warnings »
Full Time Hobby 2021.
On vous fait grâce des sempiternels clichés qu’on se sent obligé d’évoquer lorsqu’on traite de Rock épique canadien, on fait donc abstraction des vents glacés des montagnes du Yukon et des forêts d’érables aux exhalaisons qui dégagent les sinus pour en arriver à l’essentiel...
Les cousins Montrélais de The Flaming Lips ont quitté Jagjaguar pour rejoindre l’écurie Full Time Hobby et sont de retour avec The Besnard Lakes Are the Last of the Great Thunderstorm Warnings, un album au titre aussi considérable que son contenu.
Les arrangements restent grandioses, comme ils se doivent de l’être pour tout band du Canada, mais ce double album aux relents d’odyssée mortuaire (chaque face à un nom… « Near Death », « Death », « After Death » et « Life ») exigera qu’on l’aborde avec un peu de concentration.
On est dans le Grizzly Bear kilométrique, le Beach Boys sous acide, le Talk Talk au long cours, The Besnard Lakes Are the Last of the Great Thunderstorm Warnings est un opus un tantinet psyché qui ravira les nostalgiques de Prog et les collectionneurs de langueurs introspectives.
A la condition de se donner le temps et la disponibilité mentale, l’ensemble, au départ pesant, décolle en bout de piste avec faste et grandiloquence, pour notre/votre plus grand plaisir.
Et ça tombe bien, justement, le voilà.
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CARM « CARM » Rough Trade 2021.
C. J. Camerieri, vous connaissez ?
Non ?
Il a pourtant joué des cuivres pour les plus grands (Paul Simon, Bon Iver, The National, Sufjan Stevens, Taylor Swift…)
Alors… C’est vrai, à ce stade, une appréhension, furtivement, apparaît.
On n’a jamais pu s’empêcher d’avoir des craintes lorsqu’un musicien de studio passe par la case « album solo », la plupart du temps, on y trouve une débauche de virtuosité stérile, une revanche de la technique sur l’originalité, une vendetta de l’égo envers l’esprit d‘équipe (du genre « Regardez comme je me ris des double-croches »)…
Qu’on se rassure, les doutes, dans ce cas, sont vite balayés.
En trompetteux intelligent, C. J. Camerieri utilise ses pistons en sous-couche, comme un matelas de cuivre, afin que diverses ambiances s’y vautrent.
Et des ambiances, il y en a...
Du Breakbeat épileptique à la musique de film en passant par le Folk intello et le Free Jazz, C. J.ratisse large, et même s’il invite des gens comme Sufjan Stevens , Justin Vernon (de Bon Iver), Mouse on Mars, Shara Nova(de My Brightest Diamond),ce sont ses cuivres bien aimés qui, in fine, s’imposent en vainqueurs…
Du grand art, tout en finesse, talent, humilité et discrétion.
Parce que la trompette mérite bien mieux que de jouer les vedettes stridulantes d’un Dolannes Mélodie ou les messagères tragiques dans le Rio Bravo de Howard Hawks, on vous invite à pénétrer dans l’univers sensible et explosé de cet artiste et de son album, à condition bien sur de parvenir à lever vos propres verrous.
Ici, rien que pour le périple sonique étonnant, on conseille vivement.
Prenez-votre temps, cet album vous le rendra…
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The Notwist « Vertigo Days » Morr Music 2021.
Un peu comme The National, The Notwist se répète, depuis les nineties, sans jamais lasser.
Un peu comme The National, The Notwist surprend encore malgré des mélodies instantanément identifiables.
Un peu comme The National, The Notwist invite des gens ( Saya, Juana Molina...) pour ajouter quelques couleurs à sa palette.
Un peu comme The National, The Notwist est grand.
On connaît par cœur tous leurs artifices, le Kraut spleenétique, les sons désuets qu’on dirait sortis d’une boîte à biscuits trouvée derrière une plinthe dans un remake germanique d’Amélie Poulain, le faux minimalisme qui impose par la douceur un énorme quota de tendresse à un genre musical au départ rigoureusement teutono-mathématique…
Et voilà que sort Vertigo Days… On retombe sous le charme.
Les bouddhistes ont beau dire que tout est impermanent, dans le cas de The Notwist, ils ont tort.